Par Julien Sémelin, Manager, Programme Bassin méditerranéen, MAVA

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de présenter le fonctionnement de notre mécanique « Outcome Action Plan » à notre conseil de fondation. Je devais expliquer comment nous allons suivre la mise en œuvre de nos projets, maintenant qu’ils sont tous alignés sur des objectifs à atteindre en 2022 (voir mon précédent blog). Cependant, une question revient toujours depuis que nous avons engagé ce dernier cycle stratégique, et elle s’est bien évidemment invitée lors de ma présentation : comment allons-nous mesurer notre impact en 2022 ?

Bonne question. Il y a une quinzaine d’années, alors que j’étais responsable d’une petite réserve marine au large de la Guyane, ma priorité était de protéger le seul ilot de reproduction d’oiseaux marins entre les Caraïbes et l’Amérique latine. Chaque année, alors que je passais la débroussailleuse pour dégager l’île de ses plantes invasives (que nous avions sûrement amenées nous-mêmes, mais c’est une autre histoire), je pouvais compter mentalement le nombre de sternes qui nicheraient aux endroits que je dégageais. Un mouvement circulaire de mon bras : 10 nids de sternes sauvés. Trois jours de travail en équipe, c’était 10 000 nids sécurisés, et l’assurance de maintenir cette connectivité entre populations d’oiseaux brésiliennes et caribéennes. Je pouvais mesurer l’impact de mon intervention au bout de mon bras.

Aujourd’hui je ne vais plus débroussailler des îles désertes (bien que parfois, je pense que ça me ferait du bien), et notre intervention à la MAVA se situe plusieurs pas en amont de l’action directe. Et cette distance avec l’action de terrain complexifie notre relation avec l’impact. Plus on s’éloigne du terrain, moins il sera évident de faire le lien entre notre engagement financier et un changement mesurable. Mesurer l’impact d’une fondation est un sacré challenge. Et comme à la MAVA on aime bien les challenges, on s’est dit qu’il fallait absolument creuser cette question !

Lorsque nous avons développé notre dernier cycle stratégique 2016-2022, nous avons pris une première décision : en 2022, nous allons mesurer notre impact au niveau des menaces qui affectent la biodiversité, plutôt qu’au niveau de la biodiversité elle-même. Je m’explique. Prenons des espèces comme les tortues marines. Elles avalent du plastique, elles sont attrapées accidentellement par des chalutiers, elles sont désorientées par les lumières des villes la nuit, et rencontrent bien d’autres problèmes encore. Bien sûr, nous souhaitons améliorer le statut de conservation des tortues marines. Mais il est très ambitieux de viser un changement mesurable sur les populations de tortues d’ici 2022. Les tortues vivent longtemps et une action aujourd’hui aura sans doute un effet dans de nombreuses années. Il sera aussi très difficile d’attribuer tel ou tel changement directement à notre action.

Difficile donc, de mesurer notre impact directement sur les populations de tortues marines…. Alors pourquoi ne pas le mesurer un pas en amont de notre cible, au niveau des activités humaines qui affectent les tortues ? Par exemple, pourquoi ne pas mesurer notre impact au niveau des bateaux de pêche qui les capturent accidentellement ?  Ou qui ne les captureront plus, grâce à notre action. C’est un pari réaliste et mesurable. En 2022, nous pourrons évaluer la diminution du nombre de tortues capturées grâce aux projets que nous soutenons, tout en sachant que cette réduction aura un impact certain sur les populations de tortues, mais bien après 2022.

Nous avons ainsi construit nos plans d’actions autour de différents objectifs de réduction de menaces. C’est un premier élément de réponse à cette question de l’impact. Mais l’essentiel de notre impact ne peut se cantonner aux résultats d’actions portées par nos partenaires sur le terrain (c’est aussi et surtout le fruit de leur travail, non ?). Nous finançons des projets de conservation, mais nous soutenons aussi les partenaires qui les portent. Si des tortues marines ne sont plus capturées par des bateaux de pêche, c’est bien parce qu’il y a des équipes de chercheurs qui ont su développer des méthodes adaptées. C’est grâce aux efforts des ONG de conservation pour convaincre ou attirer l’attention. C’est grâce à une communauté de partenaires qui s’est engagée dans la même direction et qui a su provoquer le changement. Renforcer nos partenaires, les aider à mobiliser de nouveaux financements, favoriser le travail en réseau, donner de l’espace pour les jeunes et l’innovation. Ce sont autant de chantiers sur lesquels nous sommes engagés et dont nous allons évaluer l’impact, aussi.

Finalement, cette mesure combinée de notre impact au niveau des projets et de nos partenaires reflète fidèlement notre mission : Conserver la biodiversité au bénéfice de l’être humain et de la nature en finançant, en mobilisant et en renforçant nos partenaires et la communauté de la conservation. Mais ce n’est pas tout. Il reste cependant un élément important de l’impact de la fondation qui pourrait être évalué. Notre travail est aussi profondément marqué par les valeurs de notre fondateur. Comment mesurer l’impact de la philosophie de Luc Hoffmann et de sa famille sur le monde de la conservation ? En voilà encore un challenge…